Kathleen Petyarre occupe une place importante dans la peinture aborigène contemporaine : née au début des années 1940 elle appartient en effet à la génération qui a participé au développement de celle-ci, à Papunya, Yuendumu, puis dans le reste du désert australien à partir de 1970.
Cette oeuvre intitulée le "Rêve (ou mythe – "dreaming" en anglais) du Mountain Devil Lizard" exprime au plus haut point ce mélange de sens esthétique et d'inspiration sacrée qu'est la peinture aborigène féminine des grandes communautés du désert australien.
Le territoire clanique de l'artiste est présenté ici comme s'il était vu du ciel : on parle d'ailleurs de vision satellitaire à propos de ce style qui s'inspire des peintures sur sol traditionnellement réalisées lors de cérémonies religieuses.
Au milieu se trouve symbolisé, sous la forme d'un carré traversé de deux lignes se coupant en son centre, un site cérémoniel. Les parties supérieure, inférieure et de droite représentent des zones d'initiation masculine.
La zone de gauche désigne le site où s'exerce l'activité (cérémonielle) des femmes. Ce centre renvoie donc à la vie actuelle des Aborigènes dans leur territoire clanique. Mais comme souvent dans l'imaginaire aborigène, le passé et le présent se superposent et se mêlent : la partie constituée par le triangle supérieur et celui de droite renvoie encore au présent.
En effet, la ligne qui descend vers le coin droit de la toile montre le chemin vers un autre territoire clanique, celui de l'Igname - totem de la femme peintre Emily Kame Kngwarreye à qui il est ainsi rendu hommage.
La ligne qui s'élève vers le coin supérieur droit indique la direction du territoire de l'Ancêtre Emeu vers Tennant Creek. La partie opposée de la toile est, elle, principalement consacrée à la légende d'Arnkerrth et indique en particulier l'endroit où son esprit continue de vivre. Cette zone est voisine des lieux où le père et le grand-père de l'artiste exerçaient des responsabilités religieuses. Vers le coin supérieur gauche se trouve un autre site rituel où l'Ancêtre Lézard avait accompli, au Temps du Rêve, une danse sacrée.
Ainsi; une telle toile révèle, de la manière la plus riche, toute la complexité symbolique de la peinture aborigène : convocation du passé et du présent ; de souvenirs mythiques et claniques ; d'histoires familiales où lignée masculine et lignée féminine se répondent en une cartographie mystique.
Enfin, la technique picturale dont témoigne cette œuvre est évidemment des plus remarquables : Kathleen Petyarre manifeste en effet une parfaite maîtrise du dot painting ou "pointillisme" – technique héritée des peintures sur sol où les contours des objets représentés étaient soulignés par des points colorés réalisés à l'aide de de l'extrémité d'un bâtonnet trempé dans des pigments naturels.